Récupérer des aliments, aller vers les autres et éviter le gaspillage

7 avril 2022, Toronto, Canada
La récupération d’aliments reste un concept relativement nouveau au sein de la mouvance écologique. Il s’agit de récupérer des denrées excédentaires dans des épiceries et des restaurants, et de les distribuer à des programmes locaux d’aide alimentaire d’urgence à l’intention des personnes qui en ont besoin. Les denrées sont consommables mais leur date de péremption est dépassée : pain de la veille, ou aliment présentant une légère imperfection, comme une pomme abîmée, par exemple.
Les bénévoles d’Amma Canada à Toronto ont débuté leur projet de récupération d’aliments en 2017, de façon d’autant plus intéressante qu’il a commencé avec une banque alimentaire locale de banlieue où ils faisaient du bénévolat deux fois par mois pour servir le déjeuner. Le Georgetown Break Basket s’occupe de familles à faibles revenus et devait jeter les aliments dont la date de péremption était dépassée.
Voyant cela, l’une des bénévoles a eu l’idée de distribuer ces denrées à un centre d’hébergement pour personnes sans abri dans le centre de Toronto. Le Centre de Saint Felix est une autre organisation avec laquelle Amma Canada collabore, les besoins des gens en situation de pauvreté étant bien plus criants en ville.
« C’était une situation doublement bénéfique : les dons de denrées non périssables étaient bienvenus à Saint Felix Kitchen et permettaient de réduire la quantité de déchets voués à l’enfouissement, explique Theresa Traynor, coordinatrice des activités caritatives à Toronto. Avec la permission du Georgetown Bread Basket, nous avons commencé à récupérer leurs denrées non périssables en excédent et les avons stockées au Centre Amma Canada jusqu’à ce que le personnel de Saint Felix vienne les chercher. Nous estimons que plus de 2700 kilos d’aliments consommables ont été sauvés et redistribués au programme alimentaire de Saint Felix en 2017. »
Le projet de récupération alimentaire a continué d’évoluer à mesure que Theresa Traynor contactait de nouveaux vendeurs d’aliments et d’autres banques alimentaires dans le secteur du Grand Toronto afin d’établir des chaînes de distribution. Les articles ont commencé à inclure des produits surgelés, des pâtes, du pain artisanal, des produits laitiers, des en-cas et des aliments en conserve. Les vendeurs ont gagné du temps et économisé de l’argent, car ils n’avaient pas à déposer les produits à la déchetterie.
« La quantité d’aliments comestibles gaspillés chez un seul distributeur peut être énorme, explique Theresa. Les denrées périssables comme les produits laitiers et le pain ne sont consommables qu’un certain temps et certains aliments, comme les œufs, ne peuvent être congelés. »
En 2020, lorsque les retombées économiques du covid-19 ont commencé à se faire sentir, les besoins en aliments ont explosé avec la hausse du chômage. L’organisme gouvernemental Statistics Canada a estimé qu’une famille canadienne sur huit a été confrontée à l’insécurité alimentaire pendant la pandémie.
En suivant toutes les mesures sanitaires, les bénévoles d’Amma Canada ont réussi à augmenter le nombre de collectes et de livraisons. Par exemple la banque alimentaire Flemingdon se trouve dans un quartier de Toronto où la population immigrée est nombreuse et le taux de pauvreté élevé. L’une des bénévoles a dit à Theresa qu’au lieu de 150 familles bénéficiaires auparavant, ils étaient passés à plus de 500.
« Au printemps 2021, on m’a recommandé d’aller récupérer du pain et des pâtisseries au magasin Walmart de Georgetown. Lors de la première visite, j’ai loué un SUV et attendu à proximité de la zone de livraison des camions. J’ai vu sortir une palette contenant entre 20 et 25 cartons remplis de pain, de pâtisseries et de sucreries. Oh la la ! Je me suis sentie un peu dépassée, mais le personnel m’a aidée à parfaitement disposer les cartons dans la voiture. La Daily Bread Food Bank, un grand centre de distribution pour l’ensemble des banques alimentaires de Toronto, a joyeusement accepté les dons », précise Theresa Traynor.
En 2021, Amma Canada a récupéré plus de 4,5 tonnes d’aliments. Les bénévoles ont commencé à établir des liens avec de plus petits programmes alimentaires dans le secteur du Grand Toronto, parcourant une distance de plus de 160 kilomètres. Amma Canada est devenu l’intermédiaire mettant en relation une douzaine de magasins d’alimentation, de banques alimentaires et de programmes alimentaires quotidiens.
Chaque destination bénéficiaire ayant des besoins différents, certains n’acceptaient que du pain et des produits frais, tandis que d’autres prenaient tout ce qui leur était livré. L’approvisionnement est également imprévisible. Les bénévoles recevaient parfois cinq grands sacs remplis de pain d’une boulangerie, et parfois rien de sa part la semaine suivante.
Elora Denis est une autre bénévole du projet de récupération alimentaire d’Amma Canada. Cette Amérindienne est née dans la réserve de Kitigan Zibi. Ayant fait l’expérience de la pauvreté dès son plus jeune âge, elle s’est donné pour mission à l’âge adulte de faire du bénévolat dans les banques alimentaires et de servir des repas chauds à ceux qui en ont besoin.
« À chaque fois que je pouvais prendre un jour de congé, je le consacrais à trier des denrées dans des banques alimentaires. Même si je suis désormais à la retraite, je continue de le faire, explique-t-elle. Par exemple, l’hiver dernier, de nombreuses banques alimentaires du centre de Toronto ont fait face à des pénuries. Comme je m’étais arrêtée sur le trottoir, j’ai distribué directement à des personnes qui faisaient la queue dans la rue, bravant le froid pour récupérer de la nourriture. Nous n'avons même pas eu le temps de remettre les aliments à la banque alimentaire, car les gens attendaient là, les mains tendues. Si Amma Canada n’avait pas sauvé tous ces aliments, ils ne seraient pas arrivés jusqu'à ces 900 familles, et auraient fini dans une déchetterie, générant encore plus de pollution et de gaspillage. »
Elora Denis envisage de créer une application téléphonique qui permettrait aux banques alimentaires d’échanger des informations entre elles et de communiquer avec des distributeurs alimentaires pour partager leurs excédents. Elle permettrait aussi d’échanger des moyens logistiques et d’améliorer l'efficacité des livraisons, l'objectif final étant le zéro gaspillage alimentaire.
Elle constate que le projet de récupération alimentaire est une source d’immense inspiration pour les bénévoles d’Amma Canada. La nourriture n'est ni un mystère ni un luxe, c'est un besoin élémentaire. La sensibilisation est essentielle pour réduire la surproduction de masse de nourriture et se reconnecter à l’alimentation, à la source, à la vie – d’autant plus qu’à l’échelle mondiale, certains pays gaspillent alors que d'autres ont d'immenses besoins.




