N’abandonnez pas les petites Indiennes !
20 octobre 2021 – Inde
Partout en Inde, les gens s’unissent pour faire bouger l’avenir des filles de l’Inde, ce qui aboutit en fait à s’unir pour le bien de tous. Selon l’UNICEF, l’Inde a la plus grande population d’adolescents au monde, 253 millions, et une personne sur cinq a entre 10 et 19 ans. Ni les garçons ni les filles n'ont accès à l’information et aux ressources qui influent sur leur qualité de vie.
Toutefois, les adolescentes sont tout particulièrement exposées à de multiples facteurs de vulnérabilité en raison du peu de valeur que leur accordent les normes sociales : accès restreint à l’éducation, travail des enfants, manque d’installations sanitaires, maladies et décès maternels et néonatals, et 1,5 million de mariages d’enfants chaque année – soit un tiers du total mondial.
L'Inde a tout à gagner, socialement, politiquement et économiquement, à garantir à ses adolescentes la sécurité, la santé, l’éducation, à les informer et à les doter de compétences utiles dans la vie pour soutenir le développement continu du pays. À Amrita Vishwa Vidyapeetham (l’université Amrita), des chercheurs sont en train d’élaborer des moyens de faire de cette vision une réalité.
Ne l’ignorons pas : elle compte !
Rasika Soman, chercheuse à AMMACHI Labs
Il est temps de repenser la condition des adolescentes en Inde, de réfléchir sur nous-mêmes et de nous demander : « Que faisons-nous pour améliorer la condition des filles en Inde ? »
Depuis le jour où l'Inde est devenue une nation indépendante, en 1947, elle a connu un développement considérable en termes d'amélioration de son PIB, de développement technologique, de développement industriel et de commerce extérieur. Mais derrière ce soi-disant « succès » se cache la condition déplorable des jeunes filles qui sont souvent négligées, surtout en milieu rural.
Le gouvernement central et les gouvernements des États s'efforcent d'améliorer la condition de cette partie marginalisée de la société par le biais de diverses initiatives. Il s'agit notamment de permettre aux filles d'ouvrir des comptes bancaires (Sukanya Samriddhi Yojana), d'améliorer leur statut général (Balika Samridhi Yojana) et d'apporter un soutien financier aux familles pauvres à la naissance d'une fille (Mukhyamantri Rajshri Yojana).
Mais la question demeure de savoir quel impact ces programmes ont eu sur le changement de perspective et d'attitude des masses à l'égard des filles en Inde. Cela ne vaut pas seulement dans les zones rurales « non éduquées, arriérées et marginalisées », mais aussi dans les villes dites « éduquées ».
La condition des femmes en Inde peut être analysée de manière appropriée par le rapport 2020 de l'ONU sur la population mondiale. Il indique que le nombre de « femmes disparues » en Inde s'élève à 45,8 millions au cours des 50 dernières années. Il s'agit des filles qui sont soit tuées avant leur naissance en raison de la sélection du sexe, soit délibérément tuées après leur naissance par manque de nourriture et de soins appropriés.
Dans un pays où on considère le ventre de la femme avant tout comme devant permettre de donner naissance à un garçon, la fille est considérée comme un malheur, un tabou et un handicap pour la famille. Le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) estime que si cette situation se perpétue en Inde, il viendra un jour où les hommes ne trouveront plus de jeunes filles pour se marier, provoquant ainsi viols, trafics et mariages d'enfants, entre autres tares sociales.
Bien que notre pays soit en proie à cette perpétuelle négligence à l'égard des filles, AMMACHI Labs d'Amrita, le Centre pour l'Égalité des Genres et l'Autonomisation des Femmes et AmritaCREATE s’efforcent de garantir aux filles marginalisées et exclues une éducation de qualité, une bonne santé, une alimentation saine, la sécurité et un développement inclusif.
Par exemple, en novembre 2018, AMMACHI Labs a été sélectionné par le gouvernement indien pour être une agence de mise en œuvre du Pradhan Mantri Kaushal Vikas Yojana (PMKVY). Il s'agit d'une initiative conçue pour offrir une montée en compétences de qualité aux jeunes de 18 à 35 ans mis hors circuit des formations officielles, ce qui est plus particulièrement le cas dans les zones reculées et les communautés tribales. Aujourd'hui, Amrita-PMKVY gère des centres en Odisha, au Kérala, Tamil Nadu, Jharkhand et Chhattisgarh.
Le projet vise spécifiquement les jeunes femmes et leur offre une formation dans des secteurs essentiellement occupés par les hommes en Inde : réparation automobile, plomberie, couture et auxiliaires généraux de santé. Amrita-PMKVY fonctionne selon un modèle en étoile, ce qui permet d'élargir la portée du projet.
Ce n'est là qu'une des nombreuses initiatives d'Amrita. Une approche participative associée à l'empathie et à la compassion, telle est la recette du succès de ses initiatives. Soyons inspirés et unissons nos efforts pour améliorer le sort des filles de notre pays. Chaque fille compte vraiment.
L'impact genré du covid-19 sur l'éducation
Vipul Chawla – étudiant en master de travail social
Le covid-19 a perturbé divers secteurs et segments de l'économie mondiale. Les femmes et les filles, en particulier celles qui sont pauvres et marginalisées, sont plus vulnérables à ces perturbations. Elles sont contraintes d'absorber des chocs socio-économiques et politiques sans précédent sans avoir les moyens d'atténuer ces changements.
Les données de l'UNESCO montrent que sur le nombre total d'élèves inscrits dans le monde, plus de 89 % (soit 1,54 milliard d'enfants) ne vont pas en classe en raison de fermetures d’écoles dues au covid-19 ; soit près de 743 millions de filles.
Comme dans de nombreux pays, la pandémie a eu un impact considérable sur le secteur de l'éducation en Inde. Les fermetures prolongées d'écoles entraînant l'abandon de l'enseignement traditionnel en classe au profit de moyens numériques, ont encore creusé les inégalités. Une note d'orientation du Centre for Budget and Governance Accountability (CBGA) et de Child Rights and You (CRY) indique que cela pourrait entraîner la déscolarisation d’un million de filles et d'enfants transgenres supplémentaires, en particulier parmi les pauvres, les handicapés ou ceux qui vivent en milieu rural.
Même à l'époque pré-covid-19, le taux d'alphabétisation des femmes était inférieur à celui des hommes. Bien que le taux d'alphabétisation des femmes ait augmenté de 8% (passant de 62,3 % en 2007-08 à 70,3 % en 2017-18), beaucoup ne se sont jamais inscrites dans un établissement scolaire. Parmi les raisons invoquées, notons le manque d'intérêt, les contraintes financières et l’implication dans les tâches domestiques.
Les effets du covid-19 touchent de manière disproportionnée les adolescentes. Avec un chômage généralisé et un marché du travail instable, de nombreuses familles appauvries font face à des difficultés économiques. Dans de telles situations de crise, les coûts financiers et la pertinence de l'éducation des filles sont d’autant moins prioritaires et d’autant plus remis en question.
La précarité et l’incertitude sont telles que le mariage des enfants devient un mécanisme de survie pour certaines familles afin de soulager la pression financière. L'UNICEF avertit qu'en raison de la pandémie, environ 10 millions de filles supplémentaires dans le monde seront susceptibles d’être mariées au cours de la prochaine décennie.
On estime également que, chaque année, au moins 1,5 million de filles de moins de 18 ans se marient en Inde. Avec un tiers des enfants mariés dans le monde résidant en Inde, l’Inde compte 223 millions d'enfants mariés. Il est établi que l'incidence du mariage des enfants en Inde est plus élevée pour les filles appartenant à des ménages pauvres, ayant un faible niveau d'éducation ou résidant en milieu rural.
La pandémie a poussé de nombreux enfants, de tous les États, indépendamment de leurs classe, caste, genre et région, à quitter l'école en raison de la fracture numérique qui existe déjà dans notre pays. Selon une enquête du gouvernement indien réalisée en 2017-2018, environ 4 % des ménages ruraux et 23 % des ménages urbains possédaient un ordinateur. Environ 24 % des ménages indiens avaient accès à Internet (15 % parmi les ménages ruraux et 42 % parmi les ménages urbains), les femmes y ayant moins accès que les hommes.
Les filles appartenant à des familles vulnérables sont plus exposées au risque d'être chargées de tâches domestiques ou de se marier. Cela conduit à l'inaccessibilité de l'éducation numérique, soit en raison d'un accès insuffisant aux technologies, soit en raison de la priorité accordée à l'accès d'un enfant masculin aux ressources numériques communes. La persistance de la fracture numérique entre les sexes et la nécessité d'une éducation virtuelle ne peuvent que renforcer les inégalités existantes en termes d'accès à l'éducation de base.
Cette année, la Journée Internationale de la Petite Fille avait pour thème « La génération numérique : technologie et innovation comme accélérateurs de l'autonomie physique des filles ». L'accent a été mis sur la célébration des filles utilisant la technologie pour se forger un avenir meilleur et sur un appel urgent à l'action pour étendre la connectivité numérique à celles qui sont laissées pour compte. En les responsabilisant dans leurs communautés et de manière numérique, l'objectif est de :
- Combler le fossé numérique entre les hommes et les femmes en matière de connectivité, d'appareils et d’utilisation.
- Canaliser leur créativité pour concevoir des solutions numériques innovantes afin d'aider les filles à faire valoir leurs droits et à garantir leur autonomie physique.
- Créer un monde numérique accessible et sûr pour toutes et tous.
Aider les filles à avoir un accès égal aux outils numériques et aux informations leur permettra de prendre des décisions éclairées. L'éducation est un moyen efficace de briser le cercle vicieux de la discrimination et de garantir l’égalité des chances aux filles. La révolution numérique en matière de genre est donc vitale pour l'autonomisation non seulement des filles, mais aussi de la société mondiale dans son ensemble.
La génération numérique. Notre génération.
Gayathri Sujata – étudiante en master de travail social
Les filles doivent connaître leurs réalités numériques et avoir les capacités de tracer leur propre chemin pour construire un empire de rêves dans cette nouvelle génération de technologues.
Le 11 octobre 2012, le monde a célébré la première Journée Internationale de la Petite Fille. Des personnes – hommes et femmes – ont organisé divers événements et campagnes pour sensibiliser aux problèmes auxquels sont confrontées les filles dans le monde entier et pour créer un environnement sain et sûr pour chaque fille.
Cette année, neuf ans après, le thème était spécifiquement le domaine du numérique : « Génération numérique. Notre génération ». La numérisation est en constante évolution et expansion, et les technologies vont de l'internet et du téléphone portable aux réalités virtuelles et augmentées en passant par l'intelligence artificielle, y compris l'apprentissage automatique, la robotique, les systèmes automatisés et l'analyse de données.
La culture numérique est cruciale pour le développement de nos enfants et de nos jeunes dans un grand nombre de domaines. Cela inclut notamment l'employabilité, qui est liée à un potentiel de salaire plus élevé et à de nouvelles opportunités économiques. Selon le Forum Économique Mondial, 90 % des emplois nécessiteront des compétences numériques d'ici à 2030.
Dans le même temps, l'inégalité entre les sexes dans le monde physique se reproduit dans le monde numérique, et nous pouvons constater un écart important entre l'accès des filles et celui des garçons à ce monde. Si la pandémie de covid-19 a accéléré l'utilisation des plateformes numériques pour l'éducation et le travail, certaines personnes en Inde, notamment en milieu rural, n'ont toujours pas accès à Internet à domicile. Il en résulte également que la fracture numérique concerne essentiellement les femmes et les filles.
Pendant cette période de covid-19, de nombreuses femmes et filles sont extrêmement vulnérables. La violence domestique, les mariages d'enfants et les abus envers les enfants semblent avoir atteint un pic. Dans le même temps, la fermeture des écoles a conduit à des cours en ligne et l’inscription à la vaccination pour le covid-19 se fait en ligne.
De nombreuses femmes et filles ne peuvent accéder à la protection ou à la participation en raison du manque de communications numériques. Par rapport aux hommes, les femmes sont moins nombreuses à posséder un téléphone portable, et celles qui en ont un ont souvent des modèles anciens, cassés ou qui fonctionnent mal. Les smartphones sont un rêve inaccessible pour de nombreuses femmes, en particulier dans les zones rurales de l’Inde.
En outre, le coût des données est plus élevé dans les zones reculées à faible connectivité. La concurrence fait défaut sur le marché, ce qui empêche encore davantage les femmes et les filles d'accéder à internet et à la technologie numérique. Si les opérateurs mobiles étaient en mesure de soutenir le développement de l'alphabétisation numérique des filles, en particulier de celles qui ne sont pas scolarisées et qui vivent dans des endroits isolés, leur vision du monde changerait complètement.
Autre facteur concernant les filles : nous vivons dans une ère technologique ; or les filles ne sont ni soutenues ni encouragées de la même manière à étudier les sciences, la technologie, l'ingénierie et les mathématiques (STIM) que les garçons. En fait, la disparité entre les sexes est alarmante dans le domaine des STIM, qui est le moteur de l'innovation future et du bien-être social. Les filles et les garçons devraient participer de manière égale à la réalisation de leurs objectifs individuels, ainsi qu'à la réalisation de nos objectifs nationaux pour améliorer notre avenir en tant que communauté.
Le fossé numérique entre les hommes et les femmes s'explique par de multiples facteurs. Il s'agit notamment de l'accès inéquitable à l'éducation, de normes sociales néfastes, de l'inégalité entre les sexes, de l'analphabétisme numérique et, surtout, des risques associés aux technologies numériques (harcèlement en ligne, cyber-intimidation, cyber-harcèlement, messages sexuels non sollicités, exploitation et abus sexuels des enfants).
En soutenant l'alphabétisation numérique des filles, on peut les protéger afin qu'elles aient les compétences pour utiliser la technologie avec vigilance et en toute sécurité, avec des informations fiables et des données protégées.
Pour contribuer à ce projet, les politiques éducatives du gouvernement devraient soutenir la mise en œuvre d'une formation aux compétences numériques dans le programme scolaire officiel. Cela doit commencer au primaire afin que les filles puissent développer leurs compétences au fil du temps. Une formation aux compétences numériques peut également être dispensée aux parents afin qu'ils comprennent les paramètres de la technologie numérique, tant les risques que les avantages, et qu'ils puissent aider leurs filles à surfer en ligne en toute sécurité.
Les organisations qui représentent les femmes et les filles devront s'assurer que le cadre juridique offre une protection aux femmes et aux filles en matières de sauvegarde en ligne, de sécurité et de confidentialité des données. Les organismes de réglementation et d'élaboration des politiques s'engagent sans cesse à combler les écarts entre les sexes dans tous les secteurs de l'économie, y compris l'inclusion numérique. En réduisant l'écart entre les sexes dans chaque secteur, les femmes et les jeunes filles pourront explorer le monde des possibles, et aussi des défis, et cela peut transformer notre monde.
Plus important encore : nous devons écouter les opinions et les suggestions des filles elles-mêmes afin qu'en tant que communauté, nous tenions compte de leurs expériences lors du développement de produits et de services numériques.
L'alphabétisation numérique renforce la confiance, l'autonomie, les connaissances et ouvre les portes d’un monde d'opportunités. Les ressources humaines sont la plus grande source de développement économique, social, politique et culturel. Les filles étant un élément essentiel de cette équation, elles devraient avoir la liberté de participer de manière égale au monde numérique.