Au Bihar, une femme déterminée à aider les villageois de Rantapur à s’autonomiser
18 juin 2019 - Inde
Sarita était enceinte de 9 mois quand elle a commencé à perdre les eaux de façon anormalement abondante. Elle s’attendait à accoucher chez elle, comme la majorité des femmes de son petit village de Ratanpur, dans l’État du Bihar. Bien qu’il y ait des hôpitaux publics dans les environs, les villageoises préfèrent accoucher à la maison, en accord avec leurs traditions.
Urmila est l’auxiliaire de santé et la coordinatrice d’Amrita SeRVe dans le village. Dès qu’elle a su ce qui se passait pour Sarita, elle s’est précipitée auprès d’elle et l’a persuadée de se rendre à l’hôpital le plus proche. Sur place, l’infirmière a conseillé à Sarita de rester à l’hôpital puisqu’elle pouvait accoucher à n’importe quel moment. Sarita a accepté, mais dès qu’Urmila a eu le dos tourné, elle s’est enfuie.
« Quel genre de personnes amenez-vous ici ? a demandé sans ménagement l’infirmière à Urmila le lendemain. Vous avez vu comme elle est partie soudainement ? »
Urmila a retrouvé Sarita pliée de douleur chez elle et l’a persuadée à nouveau de se rendre à l’hôpital. Mais à leur arrivée, le personnel a refusé de l’hospitaliser. « Nous ne pouvons plus rien faire pour elle, a dit le médecin. Sa fuite a considérablement aggravé les choses. Le bébé est probablement mort. Nous ne sommes pas en mesure de prendre en charge ce type de situation. » Urmila a ensuite décidé d’emmener Sarita dans un autre hôpital public, situé dans la ville voisine d’Ara. Là-bas, ils ont opéré Sarita et lui ont sauvé la vie en retirant le bébé décédé de son ventre.
Des situations attristantes comme celles-ci n’empêchent pas Urmila de continuer à œuvrer à Ratanpur, où vivent une majorité de personnes appartenant à la communauté des Musahars. Les conditions de vie des Musahars sont déplorables. Les membres de cette communauté, l’une des plus pauvres de toute l’Inde, étaient considérés comme des intouchables avant l’indépendance de l’Inde, du temps de la domination britannique. Dans la nouvelle constitution, le gouvernement central leur a attribué le statut de caste répertoriée pour qu’ils puissent prétendre aux aides sociales.
Malgré tout, plus de 70 ans plus tard, les Musahars vivent toujours dans une pauvreté extrême, souffrant de malnutrition et d’un fort taux de mortalité infantile et maternelle. Dans le même ordre d’idées, les taux d’alphabétisation sont extrêmement bas. Seuls 6% des hommes et 2% des femmes savent lire et écrire. Les personnes ignorent par ailleurs les règles élémentaires d’hygiène personnelle et publique.
N’étant pas propriétaires, ils se font embaucher comme journaliers pour 200 à 250 roupies par jour (3 euros au maximum). Ils sont employés surtout dans l’agriculture, la fabrication de briques ou le chargement de camions, qui sont tous des domaines d’activité saisonnière. Ils sont au chômage une bonne partie de l’année.
L’objectif d’Amrita SeRVe à Ratanpur est d’aider les Musahars à s’affirmer pour leur permettre de vivre dignement. Ce qui implique non seulement de leur fournir des moyens de satisfaire leurs besoins élémentaires, mais également de leur montrer qu’eux aussi sont des personnes dignes du respect et de l’attention des autres. Ayant grandi dans une communauté étiquetée pauvre et arriérée, nombreux sont ceux qui ne croient pas en leur propre valeur.
Afin d’amorcer un changement de perception à la fois extérieure et intérieure, Urmila a décidé de se concentrer en premier lieu sur les besoins élémentaires de santé. Sans une bonne santé, on ne peut pas faire grand-chose. Elle organise régulièrement des ateliers de sensibilisation à l’attention des femmes et des enfants, et fait des visites à domicile pour évaluer l’état de santé des familles. Lorsqu’elle tombe sur des cas graves, elle accompagne personnellement les patients au dispensaire local, ou, pour les cas les plus urgents, à l’hôpital le plus proche.
Urmila a beau être originaire de Hadiyabad, un village des environs, il lui est néanmoins difficile de convaincre les habitants de Ratanpur d’adopter de nouvelles habitudes qui amélioreront leur existence. Ayant vécu à la marge depuis si longtemps, ils ne font pas confiance aux étrangers à leur communauté, ni surtout aux infrastructures gouvernementales. Il a fallu beaucoup de temps à Urmila elle-même pour obtenir le soutien des villageois pour son travail sur la santé.
« Ce n’est pas parce que quelqu’un vient leur donner des conseils, qu’ils sont prêts à changer, explique Urmila. Je viens d’un autre village, je suis une étrangère, pourquoi devraient-ils m’écouter ? »
Urmila a réussi malgré tout à prouver qu’elle n’avait pas d’autre intention que d’aider les habitants de Ratanpur à mieux vivre. Elle a commencé par laver 2 fois par mois les enfants, qui étaient couverts de poussière et de saleté. À mesure que les gens commençaient à la comprendre et à l’accepter, elle a pu les faire se laver toutes les semaines.
Ensuite, les villageois ont accepté les campagnes de vaccinations contre des maladies telles que la polio ou la rougeole, organisées par Urmila en lien avec les auxiliaires de santé publique locaux. Elle a aussi réussi à sensibiliser un tant soit peu les femmes enceintes et les jeunes mamans, et à les persuader quand elles avaient besoin de renforcer leurs apports nutritionnels, de manger plus de légumes verts et de prendre des compléments de fer.
La mission d’Urmila dans le village de Ratanpur a débuté en janvier 2016, quand on lui a offert la possibilité de se rendre à Amritapuri pour rencontrer Amma pour la première fois. Là-bas, elle a également été présentée à la responsable d’Amrita SeRVe qui lui a demandé si elle aimerait suivre une formation pour devenir auxiliaire de santé. Ressentant un appel irrésistible dans son cœur, elle a tout de suite répondu par l’affirmative. Urmila a commencé à travailler avec Amrita SeRVe en mars de la même année.
En dépit de conditions difficiles qui ne permettent que de petites avancées, Urmila reste motivée. Un témoignage récent illustre les nouveaux liens de confiance qui unissent désormais Urmila et les villageois ; c’est l’histoire de Nita Devi. Alors qu’elle était enceinte de 4 mois, elle a commencé à avoir de gros œdèmes aux pieds.
Une fois les examens pratiqués au dispensaire, Urmila a dit à Nita Devi que si elle ne prenait pas soin d’elle et n’améliorait pas son alimentation, son état pourrait empirer. Nita Devi a commencé à suivre les conseils d’Urmila, allant même jusqu’à lui demander à l’avance quelles étaient les prochaines étapes de son suivi prénatal et la laisser l’accompagner au dispensaire pour les bilans de santé prénataux. Six mois plus tard, Nita Devi accouchait d’une petite fille en bonne santé.
Urmila n’a pas encore gagné la confiance de toutes les familles de Ratanpur, qui sont nombreuses à continuer à refuser ses conseils pour bénéficier du système de santé gouvernemental. Cela étant dit, elle reste déterminée à continuer de les sensibiliser. L’objectif d’Urmila est ancré dans la voie qui conduit les Musahars de Ratanpur vers un avenir meilleur, une personne à la fois.